mardi 27 avril 2021

Que lire ? Programme pour une initiation au marxisme

Lire, lire, lire. Pour se reposer, changer de livre.
Lénine


 
Introduction : de l'intérêt de lire des livres.
 
La meilleure façon de comprendre Marx, c’est de lire Marx. Reformuler les concepts de base du marxisme dans des textes pour les expliquer ne peut rien apporter de plus aux textes initiaux, tout ce que l’on risque de faire est de peindre en gris sur du gris et d’ajouter de la confusion. Celui qui a le mieux compris Marx, c’est Marx lui-même.
 
D’un autre côté, la lecture du Capital est une tâche longue et difficile et il est risqué de commencer directement par ce gros livre sans s’être initié à quelques concepts de base. On pourrait croire que cette double exigence contradictoire est insoluble – comme par exemple avec l’œuvre de Hegel qui est difficile d’accès, nous y reviendrons – mais Marx et Engels ont eu la bonne idée de laisser derrière eux des textes d’initiation à leur propre pensée.  Ainsi, il nous est apparu que la meilleure façon de transmettre le corpus de Marx consistait à livrer une bibliographie éclairée et ordonnée du corpus de Marx, afin d’amener progressivement les étudiants curieux et studieux jusqu’à la lecture du Capital. En outre, de plus en plus de jeunes militants qui ne savaient pas par où commencer nous avaient demandé explicitement une telle bibliographie.

samedi 17 avril 2021

Comment lire de la philosophie ?

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont. »

Descartes commence son Discours de la méthode par cette phrase riche en enseignements. Il postule d’abord que tous les hommes sont doués de raison de manière égale. Ce postulat est essentiellement humaniste et démocratique : chacun dispose des facultés pour faire de la philosophie, ce n’est pas une discipline réservée à une élite, seule douée du pouvoir de distinguer le vrai du faux. La raison est en chaque homme, et c’est à chacun de nous de l’utiliser avec discernement. Ce qui amène la seconde partie de la phrase, écrite sous forme de boutade : la preuve que le bon sens est universellement partagé, c’est que nul n’estime en manquer. De façon ironique, Descartes nous met en garde contre la prétention d’avoir « assez » de bon sens. Nous possédons tous le bon sens, mais cette faculté ne donne pas d’emblée le pouvoir de distinguer le vrai du faux en toute circonstance. Il faut donc le travailler et l’aiguiser. Le novice en philosophie, tout comme le confirmé, sont ainsi invités, à égalité, à lire, lire et lire encore. On n’est jamais trop novice pour commencer, et jamais trop expert pour s’arrêter.

Une fois cette déclaration de principe faite, par où faut-il commencer la philosophie ? Les philosophes ne manquent pas, et l’on est vite embarrassé par la quantité d’œuvres disponibles. Quand on se tient informé de la production philosophique actuelle, il est tentant de commencer par là… c’est-à-dire par la fin. Toutefois, commencer par la fin comporte deux défauts majeurs : on lit une production philosophique toute fraîche, qui n’a pas encore fait ses preuves, et on n’a pas la culture philosophique suffisante pour juger de sa qualité. Certes, lire de la philosophie contemporaine n’empêche pas de passer un bon moment, mais un livre plaisant n’est pas nécessairement vrai. C’est pourquoi le premier thème philosophique sur lequel on doit avancer est la vérité. Il est donc préférable de commencer par les textes classiques qui illustrent le mieux la progression philosophique vers le vrai. Les dialogues de Platon sont donc parfaits pour débuter : ils montrent combien il est important d’utiliser un vocabulaire précis, de tenir un discours cohérent du début à la fin, et de débattre en prenant au sérieux la position de l’autre. Pour couronner le tout, ces dialogues sont abordables sans connaissance philosophique préalable. Ensuite, on peut se tourner vers les textes des philosophes classiques antérieurs au XXe siècle, en fonction de ses centres d’intérêt.

Il vaut mieux commencer par les textes « faciles ». Cela ne sert à rien de se fatiguer à lire un texte qu’on ne comprend pas de bout en bout. Cela dit, c’est une excellente expérience de se confronter à la difficulté de temps en temps. Bloquer sur un texte peut être frustrant, mais c’est en le travaillant avec assiduité qu’on fait le plus de progrès. Les difficultés peuvent être de plusieurs types. La première est la plus évidente : on ne comprend pas tout à fait le vocabulaire utilisé. Contre celle-ci, il n’y a pas de solution immédiate, il faut continuer à lire, chercher des explications chez les spécialistes du texte ou du philosophe en question, puis se replonger avec plus de maturité dans le texte. La deuxième difficulté est la négligence : on lit des passages avec la certitude qu’ils sont évidents, voire presque superflus, ou bien qu’ils sont anecdotiques. Il faut se méfier de ces passages « ennuyeux », c’est souvent le signe qu’on les a compris de travers. Or, c’est justement à ces moments-là qu’il faut redoubler d’attention, et vérifier qu’on n’a pas commis un lourd contresens. La troisième difficulté est le préjugé : quand on lit un texte, on a toujours quelques préjugés sur ce qu’on est censé y trouver. Cette difficulté devient handicapante quand on s’est déjà abreuvé de nombreuses conférences mentionnant le texte, à tel point qu’on croit déjà le connaître sans l’avoir lu. Dans ces conditions, tout est réuni pour faire des contresens tout au long de la lecture : si l’on sait déjà ce que l’on va y trouver, on risque fort d’en rester là et de confirmer ses préjugés. Finalement, on ne lit pas le texte, et on ne se l’approprie pas. On en reste aux préjugés qu’un autre nous a mis dans la tête, et on lui fait naïvement confiance pour l’avoir mieux lu que nous ne pourrions jamais le faire. D’une part, cette attitude est en contradiction avec notre postulat : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». En faisant confiance à un tiers pour comprendre un texte, on renonce à sa propre raison. On admet qu’il est des hommes supérieurs, seuls capables de philosopher, et que nous, pauvres être inférieurs, devrions leur faire confiance. D’autre part, les préjugés qu’on peut avoir sur un texte peuvent être tout simplement faux. Tout diplômé et éloquent que puisse être celui qui nous les a transmis, il peut se tromper. Ou, pire encore, il peut nous tromper. Par conséquent, la seule façon de tirer les choses au clair est d’appliquer la règle suivante : « Il faut lire un texte pour ce qu’il contient effectivement, et non pour ce qu’on s’attend à y trouver. »


Le 17/04/2021, Strelen.